La chronique du social by BGH Juillet 2023

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Face aux exigences de la Cour de cassation faut-il encore avoir recours au Forfait jours ?

Forfait jours

Forfait jours

La mise en place de conventions individuelles de forfait en jours sur l’année est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, de branche, qui détermine notamment les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail des salariés concernés.

 

Depuis un arrêt rendu le 29 juin 2011, les exigences de la Cour de cassation quant aux garanties que doivent présenter les dispositions des accords collectifs sont connues. 

 

La jurisprudence est désormais constante en ce qu’elle exige que toute convention de forfait en jours soit prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent, d’une part, la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 5-10-2017) et, d’autre part, le caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail et une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc. 17-1-2018). 

 

Les exigences posées par la jurisprudence ont été reprises par le législateur à l’occasion de l’adoption de la loi du 8 août 2016, dite « loi Travail ». Elles figurent à l’article L 3121-64, II du Code du travail.

 

Afin d’assurer les garanties imposées par la loi, cette dernière exige l’organisation d’un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. La chambre sociale vient réaffirmer ces principes dans trois nouvelles décisions.

 

Par trois arrêts du même jour, la Cour de cassation se prononce sur la validité de trois accords collectifs de branche mettant en place un dispositif de forfait annuel en jours. Si elle considère que la Convention Collective Nationale (CCN) du bâtiment pour les Etam permet un suivi effectif et régulier de la charge de travail, il n’en va pas de même de celles de l’automobile et des prestataires de services dans le secteur tertiaire.

 

Les dispositions de la CCN du secteur de l’automobile prévoient que :

  • la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié ;
  • les entreprises sont tenues d’assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail ;
  • compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales sera assuré au moyen d’un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet, ce document de suivi du forfait faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés et rappelant la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables ;
  • le salarié bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l’objectif est notamment de vérifier l’adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévus par la convention de forfait et de mettre en œuvre les actions correctives en cas d’inadéquation avérée.

Et celles de la CCN prestataires de services :

  • l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l’établissement d’un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail, ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
  • les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d’un entretien avec leur supérieur hiérarchique au cours duquel il sera évoqué l’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail en résultant.

La Cour de cassation considère que les dispositifs litigieux ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

 

La chambre sociale ne valide pas des dispositifs qui énoncent des principes sans organiser les modalités effectives de suivi régulier de la charge de travail par l’employeur ou qui font reposer le système sur le seul salarié.

 

Dans l’attente de la renégociation de ces dispositions par les partenaires sociaux, les employeurs concernés peuvent pallier l’insuffisance des mesures actuelles, en application de l’article L 3121-65 du Code du travail. Pour cela, ils doivent, d’une part, établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ce document pouvant être renseigné par le salarié, sous la responsabilité de l’employeur, et, d’autre part, s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. Bien entendu, l’employeur devra opérer un suivi effectif et régulier de la charge de travail de ses salariés. À défaut de mesures prises en ce sens, les salariés qui continueraient d’être soumis à un dispositif de forfait annuel en jours pourraient se prévaloir de la nullité de leur convention de forfait pour demander le paiement d’heures supplémentaires, sous réserve d’apporter des éléments suffisamment précis quant à leur accomplissement.

 

Dans la troisième affaire étaient en cause les dispositions de l’article 4.2.9 de la CCN des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, prévoyant notamment que :

  • l’organisation du travail des salariés fait l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie, qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos ;
  • un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l’employeur ou par le salarié, sous la responsabilité de l’employeur, ce document individuel de suivi permettant un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice ;
  • la situation de l’Etam ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d’un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail de l’Etam et l’amplitude de ses journées d’activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié.

Pour la Cour de cassation, les dispositions prévues par l’accord collectif de branche répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assurent ainsi le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, notamment en ce qu’elles imposent à l’employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d’y remédier. Ces dispositions permettent ainsi à l’employeur d’organiser un suivi effectif et régulier de la charge de travail.

 

=> Face au durcissement des exigences imposées par la chambre sociale de la Cour de Cassation ces derniers temps pour recourir aux conventions de forfait annuel en jours, la question se pose d’envisager d’autres modes d’aménagement du temps de travail et notamment de proposer aux futurs embauchés des conventions de forfait en heures.

 

Référence des arrêts cités : Cass. soc. 5-7-2023 nos 21-23.222 FS-B, R. c/ Sté Parc maintenance Cass. soc. 21-23.387 FS-B, R. c/ Sté Alpha mandataires judiciaires Cass. soc. 21-23.294 FS-B, Sté Centre européen de peinture industrielle (Cepi) c/ V.

 

Si ce sujet vous a intéressé et que vous souhaitez de plus amples informations sur les différents modes d’aménagement du temps de travail, nous vous donnons rendez-vous à la rentrée pour un afterwork dédié à ce sujet, le 17 octobre à 17h

 

Bonnes vacances à tous.

 

Aurélie Rey - Responsable du Service Droit Social - Consultante et Formatrice en droit social